Hasan faisait partie des rares mercenaires dont tu préférais la présence de loin, généralement suffisamment pour que le son de sa voix ne porte pas jusqu’à tes oreilles. Il t’avait fallu des années pour que les inflexions et les soupirs du bassereau ne te tendent pas, ni ne fassent couler une sueur froide et amère le long de ton épine dorsale. C’est le temps et l’affection de ta femme, les petits mots, les regards et les mains qui se touchent qui avaient eu progressivement raison de ton amertume, voire de ta haine pour une froideur amène.

Des doigts parcourent la carte dans un rythme rapide, un staccato rapide, une mélodie martiale. Ta tête penchée sensiblement sur le côté, tes yeux sautent avec agilité d'un point à un autre, habitué à la forme que prennent les cartes de campagne, de celles que tu avais l'habitude d'aller observer enfant lorsque tu cherchais des livres qu'Aaron te lirait. La posture rigide d’Hasan en ta présence ne te surprend pas, il n’a jamais su se délasser, ni te faire réellement confiance. Tu lui souris pourtant, un brin moqueur, un pétillement qui atteint tes yeux lorsque tu sens ce qui lui coûte de te dire ça. « Mh. » Un simple bruit de bouche, juste un souffle. Tu fais mine de compter sur tes doigts, ne le quittant pas des yeux. « Uh ? » Tu peux parler, il a l’ouïe assez fine pour t’entendre mais tu aimes tirer les fils avec lui, alors qu’elle t’a toujours dit de ne pas plus envenimer vos relations. Tu te tapotes le torse de l’index, un sourcil arqué, le sourire disparaissant pour adopter une mine curieuse. « Combien ? Pourquoi ? Quoi ? » Tu finis par lâcher, de ta voix rauque et à peine perceptible, reprise dans un souffle plus fort et plus bruyant même que tes mots.

Tu fais risette au compliment, même lâché sous le coup d’une irritation plus que palpable, de vous deux finalement c’était Hasan qui avait le plus de rancœur – chose que tu n’atténuais pas en te jouant de lui lorsque vous étiez en privé. Néanmoins, ton plaisir fut de courte durée, l’homme faisait exprès d’être abscons et de se limiter dans ses explications. Les cils alourdis par l’ennui, tu le laisses vociférer dans son coin, les doigts tapotant toujours en rythme sur la carte, le regard porté sur la carte. Ton doigt s’arrête sur une des traces laissées par le déplacement des épingles et tu renifles sans discrétion, torchant ton nez du pouce pour accentuer le geste.

Le silence s’étire, sans être aussi épais qu’il l’a déjà été, il y a cette gêne palpable qui font généralement fuir les personnes avec suffisamment de bon sens pour ne pas se mêler de ce qui ne les regarde pas. « Oui. » Tu coasses à moitié, assez peu intéressé par le peu de confiance qu’on pouvait accorder à Reymont. « A quoi les former ? » Tu te redresses, cherchant les yeux du lieutenant, tapotant toujours la table du bout des doigts, l’autre main s’agitant par habitude. « Pour les… » Tu agites à nouveau la main, les mots te manquant d’un coup, comme ils te faisaient défaut depuis bientôt 15 ans. « …répartir ? »

Tous les mercenaires – ou presque – avaient reçu un entrainement lors de leur arrivée, ou une remise rapide à niveau selon leur passif. Certains qui avaient finalement rejoint le bataillon de soutien demandaient même parfois à améliorer leurs capacités, soit par acte de conscience, soit qu’ils espèrent pouvoir demander un jour à rejoindre les combattants lors d’un recrutement ou la mort de certains d’entre eux. Tu fais triste mine cependant ; neuf qui ont déjà tenu une épée et quatre qui pourront rejoindre les combattants, cela faisait tout de même cinq qui allaient devoir réapprendre un tout autre travail, généralement pas pour le mieux. Ceux qui renâclaient étaient généralement remis sur le droit chemin assez rapidement, surtout qu’il leur était impossible de faire sécession sans risquer de perdre la vie.

Avec un peu de chance, certains d’entre eux souhaiteraient spontanément rejoindre un autre corps, cela arrivait parfois, parce que les armes ne les intéressaient pas ou qu’ils s’épanouissaient plus volontiers dans l’artisanat ou l’aide. Tu renifles toutefois et tu détournes le regard un instant. Tu finis par tapoter la table pour attirer le regard d’Hasan et tu indiques la carte. « Siffleuse. » Tu appuies du doigt sur l’image sommaire du clan et tu tapotes ensuite la forêt. « Les former dehors, expérience, oui ? » Par acquis de conscience et pour ne pas ajouter de réelles récriminations à vos relations, tu demandes toujours – ou presque – l’autorisation à Hasan pour emmener les recrues en dehors de l’enceinte ; leurs blessures ou leur mort va de ta réputation et des risques encourus. Si les éclaireurs rapportent trop de dangers, hors de question d’emmener des faiblards.