Revenant enfin de sa chasse, non sans quelques détours, Drathir passera naturellement par ce qui servait de cuisine, les odeurs émanant déjà du lieu la faisant franchement saliver alors que, sans grande surprise, Eléonore arrivait déjà à sa hauteur à peine commencera-t-elle à s’exhiber avec son butin dans les mains. Empoignant chaque lièvre à une main afin de les exhiber fièrement, d’autant plus que les flèches auront été tirées avec soin et n’auront donc pas trop abimé l’animal, l’esquisse d’un sourire viendra rapidement ourler les lèvres de l’éclaireuse qui avait toujours apprécié la tendance à la politesse de son interlocutrice. Se faire appeler miss alors qu’elle ne possédait ni titres ni terres (pas même avant son arrivée dans la Compagnie) avait un quelque chose de plaisant aux yeux de son égo et elle laissait volontiers la jeunette lui témoigner tant de respect. Il fallait bien quelques avantages à vieillir de toute façon, pas vrai ? Un respect que la blonde ne rendait pratiquement jamais, préférant laisser son ironie moqueuse prendre toute la place les trois quarts du temps, cette fois ci ne faisant pas exception à la règle. « Elle est souvent bonne quand aucun pyromane ne vient mettre le feu à la forêt. » Et il était évident que sa taquinerie était en lien avec toutes les histoires de feu qui tournaient autour de son interlocutrice. Si certaines étaient vraies uniquement parce que les accidents s’étaient produits au sein du camp, beaucoup d’informations circulaient également concernant le passé potentiel de la donzelle et Drathir avait toujours trouvé amusant de voir un si petit brin de femme (si polie, surtout) être une fichue incendiaire à ses heures perdues.

En tous les cas, l’éclaireuse tendra volontiers l’une de ses prises à sa vis-à-vis, avant de se faire nonchalamment une place sur un plan de travail précaire à ses côtés. Elle ne savait pas cuisiner, étant bien incapable de reconnaître de quelconques épices et encore moins de savoir comment s’en servir avec soin (sans parler des cuissons de la viande), préférant simplement goûter les plats et les juger bon ou non. En revanche, archère depuis toujours et chasseuse depuis donc autant de temps, la blonde avait fini par apprendre à préparer ses proies. Elle savait donc les dépecer avec soin et en retirer les viscères et autres morceaux jugés moins nobles selon les circonstances. Les odeurs ne la gênaient par ailleurs pas, aussi mettait-elle volontiers la main à la pâte dans ce genre de cas, en grande partie parce qu’elle n’avait aucune envie qu’on l’accuse de glander et qu’on ne l’envoie à la place découper encore des monticules de bois dans l’optique de finir l’installation du camp. Entamant donc sa tâche, ce sera sans grande surprise toutefois qu’elle précisera : « Je prendrais la part de l’Intendant aussi, pour la lui apporter. Elle ne demandait pas vraiment, tant parce qu’elle ne savait pas réellement demander la permission que parce que cela faisait un moment désormais que cette habitude était ancrée entre elles. Le pauvre doit être follement occupé. Précisera-t-elle, comme si cela justifiait sa bonté alors qu’un sourire en coin prouvait qu’elle n’était pas si généreuse et désintéressée que ça. Tout le monde le savait de toute façon mais l’Intendant ne l’envoyant pas ouvertement chier pour autant, quand bien même elle n’avait le droit à aucun traitement de faveur concernant sa dette, cela suffisait parfois à faire croire aux gens qu’elle savait réellement s’y prendre avec le concerné. Elle n’irait certainement pas démentir ces rumeurs. Et quitte à cuisiner (plus ou moins) en compagnie du feu follet de la troupe, autant faire la conversation. Tu te fais à notre nouveau lieu de vie ? » Demandera-t-elle simplement, une part d’elle se demandant souvent ce que les gens (incultes des runes ou des ruines, contrairement à elle) pouvaient bien penser de la forêt et du contrat qu’ils avaient accepté. Elle imaginait toutefois aisément qu’une jeune femme comme son interlocutrice (bon sang, elle avait à peu près l’âge qu’elle avait eu en décidant de quitter son village natal, non ?) soit moins méfiante et peut-être plus naïve concernant les dangers qui les guettaient tous.

Observant du coin de l’œil la scène pseudo dramatique à laquelle s’adonnait sa vis-à-vis, la blonde ne pourra que lever les yeux au ciel après coup en comprenant que celle-ci lui inventait purement et simplement des propos afin de faire croire qu’elle était prête à céder sa part de repas pour en faire profiter les autres. Mon œil tiens, personne n’y croirait tant l’éclaireuse n’était guère du genre généreuse, du moins pas tant que cela ne servait pas ses intérêts ou qu’on ne lui garantissait pas une faveur en retour. Ce n’était que de bonne guerre toutefois et Drathir se contentera de la laisser dire avant de chercher à se faire une place à ses côtés, les lapins trouvant place sur le plan de travail alors qu’un sourire doucement satisfaisait naissait sur les lèvres de la blonde à l’entente du compliment qu’on lui dédiait. « Le talent. Et l’habitude, mais surtout le talent. » Se vantera-t-elle sans hésiter une seule seconde, ne laissant transparaître qu’une pointe d’humilité au travers de ce qu’elle appelait donc habitude. C’était un peu vrai il faut dire, n’importe qui prenant le temps de chasser régulièrement pouvant apprendre à se former à la dure, après moult échecs. Et, contrairement à son interlocutrice, elle avait quarante ans et donc un paquet d’années d’expérience derrière elle, surtout après avoir passé tant de temps en solitaire, contrainte qu’elle était de trouver sa pitance toute seule. Si elle avait donc toujours réussi à s’octroyer d’elle-même de la viande à l’occasion, elle n’était en revanche pas le moins du monde douée pour réussir à préparer dignement cette dernière. Elle laissait donc volontiers à la cuisinière son propre rôle à assumer, suivant du coin de l’œil les rajouts que la concernée pouvait faire à son ragoût (ou peu importe ce dont il s’agissait, tant que c’était bon) sans pour autant comprendre ce qui les justifiait.

Sans grande surprise, Drathir rappellera alors qu’elle se chargerait de rapporter sa part à l’Intendant, d’autant plus qu’elle l’imaginait quelque peu occupé en ce moment, surtout avec leurs nouveaux invités qu’elle n’était déjà pas franchement sûre d’apprécier. C’est d’ailleurs le fait de penser à eux qui poussera la blonde à interroger sa compagne du moment quant à ce qu’elle pouvait penser de leur nouveau camp et de la forêt qui l’entourait. Son avis à elle était déjà tout fait et en vérité elle cherchait surtout à trouver des personnes qui partageraient son opinion justement, quand bien même elle avait peu d’espoir concernant le feu follet à ses côtés. La jeune femme semblait insouciante, un peu trop pour envisager les dangers qui existaient et d’autant plus qu’elle n’irait pas sur le terrain. Ce sera donc sans grande surprise que l’éclaireuse l’entendra vanter le calme des lieux, qui lui plaisait donc, puis son étonnement à l’idée que si peu de gens encore avaient tenté de se faire une place autour de leur lieu de vie. « Pas peur de l’inconnu alors, hein ? Relèvera-t-elle simplement dans un premier temps, dans un sourire mi-figue mi-raisin. D’un côté, cela lui rappelait sa propre jeunesse, ou rien n’avait compté à part ses désirs et sa curiosité, la poussant sur les routes lorsque la vie au sein de son village natal aura pris un tournant non désiré. Elle savait donc apprécier en partie cette insouciance, cette tranquillité d’esprit que possédait sa camarade mais d’un autre côté elle était sûrement trop aigrie (peut-être trop vieille déjà, aussi) pour ne pas tiquer face à cette même naïveté. Je pense que cette forêt n’est calme que d’apparence et qu’on a pas fini d’en chier. Expliquera-t-elle donc de son côté, n’y allant pas par quatre chemins. Jetant un coup d’œil à la tête bouclée à ses côtés, s’interrompant brièvement dans ses gestes pour cela, Drathir finira par hausser les épaules en faisant un autre constat. Mais t’es jeune… » Elle-même ne sut vraiment pourquoi de tels mots lui auront échappé. Cela semblait simplement être vrai et en mesure d’expliquer absolument tout. Elle était jeune, trop pour redouter le danger. Elle était aussi dans la compagnie depuis extrêmement peu de temps au fond et cela ne devait pas aider à lui faire prendre conscience du fait qu’elle allait sûrement perdre des amis durant ce contrat, en grande partie parce qu’elle n’avait peut-être pas eu le temps de s’en faire tant que ça ? Ou que l’âge influait encore et lui faisait croire qu’elle, et les autres, était invincible. Qui sait.

Visiblement loin de vouloir critiquer sa vantardise, Eléonore se contentera d’y rebondir pour lui demander une faveur : l’emmener un jour à la chasse. Bon sang. Pourquoi, par les lunes, est ce que c’était toujours elle qu’on venait voir pour ce genre de choses ? Encore que ce n’était pas tout à fait vrai, pas mal d’élèves avaient du mal avec son mordant lors des entraînements et sa recherche de discipline et de respect (elle donnait des cours, ne gérait pas une troupe d’enfants bon sang) mais il n’était finalement pas si rare que l’on s’attache à son enseignement peu importe la nature de ce dernier et bien que son ego s’en réjouissait toujours, elle se demandait parfois comment cela pouvait se produire aussi souvent. Muette sur le moment, Drathir finira par rebondir en premier lieu sur l’argument du feu follet quant au fait de se tenir en situation réelle, pour une fois. « Si y a que ça, j’peux demander à Murmure de jouer les lapins. On l’entendrait pas s’offusquer de toute façon. Ricanera-t-elle en faisant référence au timbre de voix affreusement léger du maître d’armes, sans parler du fait qu’il avait déjà été exploité durant ses entraînements pour donner une leçon aux apprentis. Ce sera toutefois avec un peu plus de sérieux qu’elle méditera sur la question, avant d’en arriver à la conclusion qu’il était inutile de promettre quoi que ce soit à la cuisinière dans l’immédiat. J’dis pas non, mais ça attendra. Tant que je connais pas mieux cette forêt, j’te fais pas sortir du camp. C’était aussi simple que ça. Personne ne connaissait réellement la forêt de Tollen et avec les ruines à proximité, l’éclaireuse était plus que méfiante, aussi se refusait-elle à prendre le moindre risque tant qu’un peu de ménage n’aura pas été fait dans les environs. Accessoirement, elle exigerait d’Eléonore une obéissance absolue, pour sa propre sécurité, mais il était inutile d’édicter ses règles maintenant. En revanche, Drathir acceptait volontiers de goûter aux préparations de la concernée dans l’immédiat et elle s’emparera donc du couteau qu’on lui tendait afin de goûter la viande qui se trouvait au bout. Les sourcils froncés au possible, la blonde mastiquera longuement, comme franchement sceptique avant d’avaler le morceau et de retourner, toujours avec cet air étrange sur le visage, piquer un autre morceau. Ce ne sera qu’en mangeant celui-ci que les traits de son visage se détendront, signe qu’elle avait feint ne pas être certaine juste pour profiter d’une nouvelle bouchée. C’est bon. » Commentera-t-elle, laconique mais sincère, et surtout nullement gênée de parler la bouche encore partiellement pleine.

Quitte à parler d’avis toutefois, Drathir viendra rapidement s’enquérir de celui de sa vis-à-vis sur leur nouveau lieu de vie, constatant sans surprise que le feu follet ne s’inquiétait pas outre mesure. Evidemment. Personne ne s’inquiétait dans ce fichu camp, tous n’étant qu’un condensé d’excitation face à la nouveauté ou bien ils étaient également inspirés par le calme des environs. Un calme qui n’était que façade à son sens mais son interlocutrice ne pouvait pas le comprendre, l’éclaireuse mettant volontiers cette ignorance sur le compte de son jeune âge. On était tous un peu plus insouciant. Cela ne sera pas au goût de la principale intéressée toutefois, sans que la mercenaire ne voit le moins du monde venir son accès de colère. Sursautant légèrement face à la lame brutalement plantée sur le plan de travail, Drathir coulera un regard ombrageux en direction de sa vis-à-vis en grande partie parce que le geste qui venait d’être exécuté sonnait un peu trop comme une menace à ses yeux. Sourcils froncés sous le coup du mécontentement, elle ne dira rien toutefois et laissera sa camarade vider son sac, elle-même demeurant foutrement immobile et ayant interrompu le moindre de ses gestes. Eleonore demeurait polie et conservait le vouvoiement à son égard (de quoi lui faire penser à un réel passé dans la noblesse, pour qu’il ne s’envole en aucune circonstances) mais le ton était sec et visiblement la donzelle ne voulait plus voir son âge être ramené sur la table à l’avenir. Elle avait, de ce qu’elle en disait, vécu son lot d’épreuves dans la vie, au point que son parcours actuel au sein de la Compagnie ressemble à une promenade de santé à ses yeux et un fin ricanement soufflé par le nez échappera instinctivement à l’éclaireuse. Bah voyons. Pas compliqué quand on restait aux fourneaux ou qu’on se contentait de s’entraîner au camp sans jamais se confronter au danger. Drathir n’avait pas tendance à amenuiser le travail du corps de soutien, estimant qu’il fallait de tout pour faire un monde, mais elle pouvait bien plus le penser lorsqu’on se faisait agressif avec elle. Intense dans ses émotions toutefois, Eleonore laissera rapidement filtrer de la tristesse mais celle-ci ne suffira pas à émouvoir la blonde après ce qui venait d’être dit. « Et moi j’essaye de te faire piger que t’as pas fini de perdre des gens, surtout ici. Et j’te blâme pas de pas avoir assez souffert dans la vie, j’te blâme de pas avoir assez peur aujourd’hui. Rétorquera-t-elle gravement avant de se pencher un peu plus vers son interlocutrice tout en ayant récupéré le couteau qu’elle avait planté sur la table un peu plus tôt. Parce que tu devrais avoir peur. Mais soit. On verra qui aura eu raison à la fin de ce contrat. Conclura-t-elle avant de replanter le couteau dans le bois, face à sa propriétaire pour qu’elle puisse se remettre au travail après coup. Elle ne doutait clairement pas qu’elle finirait gagnante de cette entrevue au final, encore qu’une part d’elle-même ne leur souhaitait évidemment aucun mal. Si tout pouvait se passer à merveille dans cette forêt, ce serait formidable bien sûr mais elle en doutait salement. Un certain silence suivra, pesant, qui permettra à Drathir tant de ressasser une forme d’aigreur vis-à-vis du feu follet pour les mots durs qui auront été échangés mais également les propos, dans leur simplicité, qui auront échappé à la concernée. Pourquoi la compagnie ? » Demandera-t-elle finalement, plus calmement. Car elle peinait définitivement à comprendre comment un jeune brin de femme, visiblement à l’éducation soignée, n’avait pas eu d’autres options que cette troupe d’énergumènes plus ou moins recommandables.