« J’espère que tu montes pas tes partenaires comme ton cheval Qu’un-Œil, ça leur laisserait pas un super souvenir. – Ha. Ha. Hilarant, qu’est ce que t’y connais en chevaux toi ? Tu siffles pas à leurs oreilles que je sache. – Et à ton plus grand désespoir, je sifflerai pas aux tiennes non plus. » Ricanera en guise de surenchère la blonde, une pointe de son accent natal transparaissant au fond de sa voix, attirant quelques gloussements supplémentaires de la petite troupe de cavaliers qu’ils incarnaient. Drathir ne dira rien de plus, pourtant Qu’un-Œil se trompait largement à son sujet : elle s’y connaissait en chevaux. Bien plus que lui qui se contenterait tout juste de distinguer un âne d’une bête plus noble. Ayant passé son enfance dans les terres du nord, réputées pour leurs montures de plus grande qualité, ses propres parents avaient eux même tenu un élevage et elle aura passé des années à guider les animaux des près jusqu’aux box, à les panser et même les éduquer. Elle se faisait sensible au regard vivace d’une bête intelligente, aux muscles puissants roulant sous la robe, au caractère plus ou moins affirmé et enfin elle accordait de l’importance aux lignages. Prétendre qu’elle avait eu le temps d’acquérir toutes les connaissances de son père à ce sujet serait mentir bien sûr, surtout vu son départ précipité du village natal, néanmoins elle avait toujours mis un point d’honneur à acquérir des montures dignes de ce nom chaque fois qu’elle en eut le besoin, ne laissant pas des gueux de passage l’arnaquer sous prétexte que l’étalon avait une bonne bouille mais ne saurait tenir plus de vingt kilomètres de distance sans s’essouffler. Elle avait été moins chanceuse en matière d’hommes mais que voulez-vous, l’instinct ne saurait être infaillible et l’œil parfaitement aiguisé sur tous les sujets. En tous les cas, sourire aux lèvres, l’éclaireuse laissera ses compagnons d’arme se chamailler entre eux encore un moment, conservant elle-même le silence pour mieux frapper lorsqu’elle jugerait avoir une ouverture intéressante, le regard planté vers l’horizon et le bourg mal desservi qui s’y dessinait. La compagnie n’y possédait pas de comptoirs, les messagers ne se risquaient que trop peu souvent dans les environs et enfin eux-mêmes étaient dans le coin, aussi quelques individus (dont elle faisait partie) avaient été choisis pour se déplacer en quête de contrats juteux. Ils se séparèrent une fois sur place et l’archère, affublée de dagues et couteaux à la ceinture pour rajouter à sa panoplie, prendra la direction de la taverne la plus proche. Pénétrant à l’intérieur, un coup d’œil circulaire lui fera comprendre qu’il n’était définitivement pas nécessaire de se faire sensible aux œillades qu’on pourrait lui adresser, encore que celles-ci étaient définitivement plus rares depuis qu’elle arborait le blason de la Compagnie. Entre apostropher une donzelle seule et présumée à tort innocente et chercher des noises à une mercenaire alors qu’on savait qu’elle était sûrement accompagnée par quelques grands frères, le choix était vite fait et de son côté elle faisait plus aisément le tri entre les puceaux et les braves. L’aubergiste sera plus difficile à classer en revanche, tant il était compliqué de savoir s’il se faisait simplement poli avec elle plus qu’autre chose. Peu envieuse de s’attarder en tous les cas, la blonde ira droit au but en demandant à connaître les ragots des environs et la taille de la bourse des gens potentiellement dans le besoin. Rapidement, c’est vers ce qui faisait office de chef de village qu’on l’enverra pour, en effet, résoudre un problème commun mais elle n’aura pas eu le temps de quitter les lieux que déjà l’un de ses camarades arrivait au sein de la taverne, l’interpellant d’une voix bourrue depuis l’entrée, se contentant d’user de son prénom. Elle n’aura pas besoin de plus pour comprendre qu’il avait définitivement quelque chose à lui dire (les mercenaires, moins ils en disaient et plus c’était sérieux) et ce sera sur un sourire poli vis-à-vis de l’aubergiste qu’elle quittera les lieux. L’air doux et le soleil chaleureux ne suffiront pas pour l’empêcher de grimacer lorsqu’elle apprendra que le chef du hameau avait en effet une requête : des Vestiges à exterminer. C’était plus ou moins courant que de devoir s’occuper de pareilles atrocités, néanmoins elle ne pouvait s’empêcher d’espérer que la population n’ait tout simplement pas les moyens de leur attribuer une telle besogne. Loupé, les Vestiges étaient peu nombreux et la somme qu’ils réclameront ne sera donc pas si conséquente que ça, de quoi plutôt pousser l’archère à prier pour ne pas être de ceux qui auront à se bouger pour cette besogne là. Ces créatures, elle les avait vu de trop près et se passait volontiers de leur présence.

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« Oh putain, oh putain, oh putain. » Elle n’arrivait même pas à savoir si elle jurait à voix haute ou si elle se contentait de crier dans sa tête, mais dans tous les cas elle était terrifiée. Aussi brave ou folle ait-elle pu être toutes ces années, tant pour arriver jeune à Cathan que pour se lancer par la suite dans une vie de chasseuse d’artefacts, Drathir tenait malgré tout à sa vie. Suffisamment pour ne pas sentir l’adrénaline lui bouffer les tripes et brûler ses veines, lui insufflant la force de continuer à courir alors que des grognements à peine humains et des cris incompréhensibles se faisaient encore entendre dans son dos. Cela faisait quelques temps désormais qu’elle avait décidé de s’allier à d’autres chasseurs comme elle, afin de profiter de leur plus grand nombre pour faire peur à tous les intrus naturellement plus solitaires qui pourraient se retrouver à fouiller les mêmes ruines qu’eux. Cela n’avait jamais empêché les coups de pute bien sûr et tous avaient à l’occasion gardé plus de trouvailles pour eux qu’ils n’avaient osé l’admettre aux autres, néanmoins ce fonctionnement avait toujours porté ses fruits et elle ne s’en était jamais plaint. A part aujourd’hui, à part cette fois où elle n’arrivait toujours pas à savoir s’ils avaient eu une poisse folle, si un des blaireaux qui l’accompagnait avait activé ce qu’il ne fallait pas ou si l’alignement des lunes avait été pourri la veille sans qu’elle ne s’en rende compte. En tous les cas, des Vestiges s’étaient manifestés. Les animaux corrompus non loin des ruines auront déjà été pénibles à abattre (mais avaient eu le mérite de rappeler l’utilité de se balader à plusieurs) mais ils n’avaient définitivement pas prévu, au sein même de ce vieux bâtiment pourtant déjà foulé par ses prédécesseurs, un groupe conséquent d’humains rongés par leurs propres runes. Ils étaient déjà dangereux de base, mais au sein même de ruines gorgées de puissance plus ou moins éteinte ? C’était suicidaire de rester. Alors elle avait voulu se barrer, peu soucieuse de savoir ce qu’en pensaient ses comparses mais son objectif aura été réduit à néant par la capacité de ces créatures à les repérer rapidement. Le rouquin aura été le premier à périr, salement, réduit en purée par une force qui dépassait largement l’entendement et elle n’aura pas attendu de voir d’autres le suivre pour se mettre à galoper aussi vite que possible. Elle aura joué de sa dague et de son arc pour se frayer un chemin si nécessaire, aura manqué de se faire trucider à plusieurs reprises malgré tout et aura découvert à quel point, en effet, on ne pouvait que difficilement compter sur d’autres chasseurs comme elle pour espérer s’en sortir lorsque l’un d’entre eux l’aura poussée dans le tas d’ennemis pour gagner du temps. Grâce à un réflexe prodigieux et une taille assez fine, la blonde aura réussi à esquiver et s’engouffrer dans un étroit passage qui lui rappellera, lui aussi, de bien mauvais souvenirs et renforcera sa claustrophobie déjà plus conséquente depuis quelques mois. Cela lui permettra néanmoins de fuir ses funestes assaillants et, sans trop qu’elle ne sache comment, à regagner plus vite la sortie. Elle recroisera alors l’homme qui avait tenté de se servir d’elle et ce sera sans l’ombre d’une hésitation qu’elle encochera une nouvelle flèche, le trait fusant pour transpercer le mollet, à la limite de la cheville. Dans un cri de douleur, l’homme chutera et il aura beau vaillamment se redresser pour tenter de retrouver une allure suffisante pour fuir, il n’y parviendra pas. Drathir l’observera une seconde à peine par-dessus son épaule, se détournant sitôt qu’elle comprendra qu’il commençait à se faire déchiqueter et sur un frisson bourré d’émotions diverses à l’entente des hurlements de son ancien compagnon, elle continuera à courir.

Bien plus tard, elle sera dehors, loin de ces foutues ruines à la con, vissée sur sa selle et le cœur encore battant tandis que ses doigts tenaient maladroitement les rênes, l’ensemble de son corps étant agité de tremblements. « Plus jamais. » Soufflera-t-elle pour elle-même, la détermination dans ses mots étant bien la seule chose qui semblait ne pas vouloir flancher ce jour là. Plus jamais elle ne risquerait sa peau de la sorte, plus jamais elle ne confierait sa vie à des gens finalement aussi peu recommandables qu’elle. De toute façon, à quoi bon ? Ses débuts l’avaient profondément excité, chaque découverte faisant ronronner son ego et lui donnant l’impression d’avoir accompli quelque chose que d’autres seraient incapables de faire, jusqu’à ce qu’elle constate le prix misérable qu’on était prêt à lui offrir pour ses découvertes. Elle n’en avait jamais eu assez et, aveuglément, avait caressé l’espoir de toujours faire mieux. Mais elle n’aura jamais réellement trouvé cette reconnaissance tant espérée et le temps avait progressivement distillé de la rancœur chez elle. Rancœur face à l’ingratitude, rancœur face aux runes et à cette magie profondément malsaine qui la dégoûtait à chaque risque supplémentaire pris au cours de sa carrière. Rancœur face aux cons, face au danger, face à une espèce de non-sens à l’idée de jouer sa vie de la sorte à chaque fois. L’expérience du jour aura été la plus traumatisante et une sacré goutte d’eau pour faire déborder le vase. C’était il y a quatre ans et s’il lui faudra errer seule à faire de la basse besogne pendant un temps pour se remettre tant de son activité de chasseuse d’artefacts que de la trahison de ses vagues comparse, les difficultés en lien avec la solitude et la réputation de la Compagnie finiront par lui donner envie de tenter sa chance auprès d’eux.